CHAPITRE 6
Lorsque la mer remontait, le bateau se remettait à flot, et nous nous dirigions vers les couloirs que les bancs de mulets empruntaient en avançant avec la mer. Après avoir jeté l'ancre, nous lancions le carrelet, un filet carré pendu à une potence que nous remontions de temps en temps.
Curieusement, les mulets pêchés la nuit étaient vendus plus cher que les mulets de jour. En ne se nourrissant pas durant la nuit, leurs entrailles étaient vides de vase et pouvaient être frites à la poêle. Un vrai régal paraît-il.
Nous pêchions quelquefois d'autres poissons, comme des plies. Mais aussi des crabes en pleine reproduction. Le mâle enfermait la femelle entre ses pattes pour la protéger, car elle avait perdu sa carapace en pleine mue. Le père Renault rejetait le mâle et gardait la femelle qu'il appelait du nom peu ragoûtant de "chancres mous". Cela aussi à la poêle s'était fameux.
Un jour, penché sur le carrelet prêt à émerger, nous vîmes une masse sombre onduler lentement. Le marin qui nous accompagnait pris les choses en mains.
"Bon Dieu, c'est une touille !"
Nous remontâmes le carrelet aussi vite que nous pouvions, et ce qui se révélait effectivement être un squale fût déposé sur le pont, agité de soubresauts convulsifs, bien qu'empêtré dans le filet. Après un coup de piolet sur la tête, il fut jeté dans la cale. Mais à en juger par le vacarme qu'il faisait en bousculant violemment les seaux et les bourriches, il n'était pas mort. Le calme revenu, j'ai pu observer un requin en réduction, qui mesurait quand même 1,20 m.
Bien cuisiné, c'est plutôt bon.
A bientôt
Georges
